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A comme Babel
Traduction, poétique
EditeurLa rumeur libre
CollectionRaisons poétiques
Date de parution09/2020
ISBN/code barre978-2-35577-194-1
Format (mm)141 x 192
ReliureCahiers cousus couverture avec rabats
Nombre de pages96
Poids133 g
(préface de Marc de Launay)
La formule à virgule « traduction, poétique », sous-titre du présent essai, doit s’entendre deux fois : une première fois certes, au titre de la riche tradition de réflexion théorique dans laquelle il s’inscrit, et dont la préface restitue avec force l’exigence et les enjeux, mais une deuxième fois aussi, au sens où l’effort de la traduction apparaît ici sous sa forme la plus vivante et la plus incarnée. C’est ainsi véritablement dans son atelier d’écriture traductrice que Guillaume Métayer nous invite, en nous proposant de partager avec lui plusieurs expériences singulières de traduction.
On comprend dès lors que les douze chapitres de cet essai, formant autant de rebondissements réflexifs et poétiques, doivent moins se lire comme le déploiement d’un traité que comme le récit d’une traversée : traversée des langues, des espaces — notamment des champs centre-européen, allemand, slovène et hongrois dont l’auteur est un des meilleurs connaisseurs actuels — qui doit autant à la rigueur du concept qu’à la jubilation quasi-pataphysique de la lecture et de l’écriture. À l’horizon de ce parcours parfois périlleux, la catastrophe heureuse par quoi la poétique de la traduction se fait, purement et simplement, poésie.
(extrait du livre)
"L’une des lectures qui m’a sans doute le plus marqué, je m’en rends compte à présent, est Philémon, et, dans Philémon, le moment où le garçon ébouriffé à pull marine se retrouve propulsé sur le a de l’Atlantique. Quand je l’ai lu, je devais avoir quelques dizaines de centimètres de moins qu’aujourd’hui, une bonne poignée de décennies aussi, bien sûr. Je n’y ai jamais retouché. Je vais le faire, sûrement, bientôt. Tant je sais que les relectures ne sont pas des marches fastidieuses dans la monotonie du connu, mais souvent de vraies jouvences. Chacune a sa personnalité, comme les saisons. La première relecture a la fécondité et la fraîcheur fermentée de l’automne…
Le bonheur que m’a procuré la descente de Philémon sur le a de l’Océan atlantique, à l’âge de douze ans peut-être, était lui-même, à mon insu, une relecture. Elle reprenait, je m’en rend compte maintenant que je la remets dans toute la perspective, ma fascination d’enfant pour une énigme, entendue quelques années plus loin encore. J’avais dix ans et c’est notre maçon qui l’avait énoncée de sa belle voix rauque à l’accent italien : « Je suis au milieu de l’Espagne et sans moi Paris serait pris. » Je n’oublierai jamais la tension de l’imaginaire qu’a créée en moi cette géographie impossible, un barbu à hallebarde en habit noir et fraise blanche, un fleuve jaunâtre enroulé en douve autour de notre grisaille, une tour, une montagne, que sais-je… Le tout sous le soleil de plomb d’une incompréhension totale, à la limite de l’hébétude. La réponse, laconique comme la première lettre de l’alphabet, me cloua sur place :
« Le a ».
« Je suis le a ».
Une capitale entre deux capitales.
Ou bien comme ces cônes montagneux inverses, évasés vers le ciel, la pointe fichée en terre. Une autre forme possible de Babel, peut-être.
Car n’est-ce pas ce jeu fascinant entre « la lettre » et le « réel » auquel je reviens sans cesse sans le savoir, en titillant l’énigme des langues étrangères ?"
("Sur le A de Babel", Ch. II)