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Qui est là ?
Poèmes choisis
EditeurLa rumeur libre
CollectionLa Bibliothèque
Date de parution04/2018
ISBN/code barre978-2-35577-132-3
Format (mm)141 x 192
Reliurecahiers cousus, couverture avec rabats
Nombre de pages176
Poids195 g
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Caroline Talpe, Peter Brown et Emmanuel Merle
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Caroline Talpe, Peter Brown et Emmanuel Merle
(extrait 4ème de couverture)
Comment comprendre ce que les choses simples semblent nous dire ? Y a-t-il un sens quelque part ? Un sens que les humains pourraient décider d’instaurer entre eux pour aider le monde ? David Ferry se situe toujours au seuil d’un possible qui ne se dévoile pourtant jamais. À l’avant, à la proue, au-dessus d’un abîme aussi bien. C’est l’une des raisons de la force immédiate de ses poèmes : un autre monde, parallèle au nôtre, nous côtoie : les Anciens déléguaient à quelques élus — des fous de préférence — le pouvoir exorbitant d’être la voix des dieux. D’où parlent les morts ? Quelle est cette contrée, si proche, si mystérieuse, dans laquelle ils existent encore ? Cette question sans réponse est au centre de la poésie de Ferry, au cœur du rythme et des sonorités qui fonctionnent et battent comme le pouls du monde.
(extraits)
QUI EST LÀ ?
Ici à l’intérieur de cette fiction de moi-même,
Deux voix que j’entends tout le temps, toutes deux miennes,
Je suppose, l’une d’elles disant la vérité, je suppose.
Je ne sais pas laquelle est en train de dire la vérité.
La voix qui a dit ce que c’était qu’elle avait à dire
Et a entendu ce qu’elle a dit quand elle l’a dit, et ne savait pas
Précisément ce qui est advenu de cette personne qui a dit
Ce que c’était qu’elle a dit, à l’instant, à dire vrai.
Toujours comme ça, ça a toujours été comme ça.
Celle qui a dit à mes parents qui j’étais,
Qui a dit à ma femme qui j’étais, qui l’a dit à mes enfants,
Et qui l’a dit à qui que ce soit à qui je parlais,
Que Dieu me vienne en aide, quand je dis la vérité, à l’aide.
NOM
J’aimerais pouvoir me rappeler à présent les lignes écrites sur
toute la surface de mon rêve. Elles disaient que Nom enquê-
tait sur la possibilité de son propre bonheur en marmonnant
et en fronçant les sourcils si préoccupé qu’il ne remarquait
absolument personne d’autre alors que d’une certaine façon
on sentait qu’il savait que quelqu’un se tenait là debout au
seuil de la porte et le regardait à l’intérieur observant ce qu’il
faisait fouillant dans les tiroirs du bureau ouvrant des cahiers
les refermant écrivant une chose ou une autre sur un bout de
papier qui serait bientôt jeté négligemment dans une corbeille
et s’en irait dans une poubelle quelque part en dehors de la
ville brûlant puant irrécupérable bien que comme la mémoire
non biodégradable.
EN RELISANT D’ANCIENS ÉCRITS
En regardant en arrière, le langage gribouille.
Qu’est-ce qui est caché, ayant été dit?
Presque tout? C’est palpitant de penser
Qu’il y avait là un secret quelque part,
Un oiseau qui chantait dans la forêt du cœur.
Deux personnes assises près d’une rivière ;
La lumière du soleil, l’ombre, de jolis arbres;
La mort pommelant l’eau qui s’écoule ;
C’est beau d’y penser,
La romance insondable comme la musique.
Surgie de terre, dans le New Jersey, la voix
De ma mère, morne, gémissante — implorante ?
Que crie-t-elle ? Rien? Une vapeur d’hiver,
Sortie de l’urne, s’élevant dans l’air
Jaune, une traînée de cendres sur la page.
La pièce paisible flotte sur les eaux,
Doucement maintenue sur la lumière du jour;
Je ne vois qu’une branche, qui s’agite un peu;
Rien à quoi penser; écrire
Est une façon d’être heureux.
Qu’est-ce qu’il y aura à cet endroit?
Une personne qui entrera dans la pièce?
Dira-t-elle quelque chose? Fera-t-elle un signe?
Elle écrit une formule sur le tableau noir.
Rien qui soit à comprendre.
CONTREPOINT
Un équivalent aux lignes que mon grand-père
A écrites, dans une lettre à sa famille : les fruits
Qui mûrissent, la pureté d’intention et d’acte
Dans un contexte de sang et d’erreur, la rivière
Qui s’est écoulée dans l’oreille de chaque homme
De génération en génération. Alors que mon grand-père
Prêchait, un jour, «une visitation merveilleuse
De l’Esprit saint descendit sur l’église.
Il sembla recouvrir également les hommes et les femmes
Jusqu’à ce que sur tous il y ait un seul baptême du Feu
Sacré, et ainsi dans sa petite église il fut
Consacré à Dieu dans son prêche ».
J’ai trouvé la lettre dans une boîte de métal
Dans l’appartement de mon père décédé ; l’endroit
Était ombragé même de jour; il faisait doux,
Début septembre, dehors la rue était tranquille,
Et dans l’appartement aussi; la télévision
Allumée, le son éteint, les images vacillant
Et voletant sur l’écran lumineux,
Tremblant et s’agitant, implorant l’attention.
L’encre de l’écriture ancienne, effacée, coulait
Sur la page, coulait et tombait, tombait
Dans l’oubli; l’air du matin, la blancheur
De la lumière, une vapeur, une ombre en mouvement,
Un homme non identifié, la conscience de soi altérée.
« Je suis un enfant de la terre et du ciel.
Mais, vite, donne-moi à boire l’eau froide
Qui coule de la source de Mémoire, à Livadiá ».