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Les nouveaux tartuffes
Gérard Mathie
Lettre ouverte de l'artiste suite à l'interdiction faite aux enseignants de faire visiter l'exposition aux élèves
Les nouveaux tartuffes
Ce mois de décembre 2012, la direction académique du Rhône, relais du ministère de l’Education Nationale pour le département, vient de jeter l’anathème sur trois expositions :
- Pour l’exposition de Frédéric Arditi à la galerie Confluence(s) de l’I.U.F.M. à Lyon, elle exige qu’une toile soit occultée, ce que l’I.U.F.M. refuse de faire.
- A l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne, pour « Collection’12 », elle impose que l’on ferme des salles ; l’I.A.C. est à la recherche d’un compromis.
- Au Centre Culturel Le Polaris de Corbas où a lieu mon exposition rétrospective « Postures et Impostures » elle interdit aux enseignants d’y emmener leurs élèves. Sur la foi de rumeurs. Sans l’avoir vue. Sans avoir pris contact avec les principaux intéressés. Sans consultation. Sans tenir compte de l’avis favorable des spécialistes. Ce qui s’appelle une décision arbitraire.
Ces trois événements sont un signe majeur d’un état de déliquescence de notre société qu’il est impératif et urgent de ne pas passer sous silence.
Le contexte
A l’heure actuelle, et sur beaucoup de plans, nous vivons une époque de plus en plus régressive et si l’on manque de vigilance, le processus risque bien de s’accentuer.
D’un côté, il y a une partie de nos concitoyens, associations de bienpensants et de malfaisants, obscurantistes et extrémistes de toutes obédiences, qui osent de plus en plus exprimer des opinions rétrogrades, parfois nauséabondes, assorties de revendications d’un autre âge dans le but de limiter la liberté de chacun ; pire, ils finissent par exiger que la collectivité se plie à leurs diktats et cherchent à imposer au reste de la société leur mode de pensée, si le mot « pensée » conserve encore ici un sens !
De l’autre côté, il y a des représentants de l’état, investis d’une mission républicaine et laïque, culturelle ou éducative - dans tous les cas politiques - qui font le choix de la démission. Experts dans la pratique de l’ouverture du parapluie, ces nouveaux tartuffes préfèrent traiter les questions posées par les premiers en les fuyant plutôt qu’en les affrontant : l’affrontement n’ayant plus lieu dès lors que le front recule !
L’alliance objective entre ces deux catégories officialise le règne de la sottise et de l’intolérance, renforce les fanatiques et encourage leur prosélytisme.
Cela n’est pas sans rappeler une période noire – et pas si lointaine – de notre histoire au cours de laquelle certains, semant la haine et colportant les ragots, écrivaient des lettres de dénonciation, d’autres obéissaient sans faillir aux ordres de leurs supérieurs tandis que quelques-uns, fidèles à leur idéal et faisant preuve de beaucoup de courage, décidaient de résister.
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Conférence de Gérard Mathie au Polaris (Corbas) dans le cadre de l'exposition rétrospective de 30 années de travail (photos Josette Vial) |
Les faits
Au Centre culturel Le Polaris de Corbas je me suis retrouvé, pour l’occasion, coiffé d’une double casquette et c’est donc, à double titre, que j’ai été affecté par cette censure qui ne dit pas son nom.
D’abord, en tant que plasticien invité par le commissaire d’exposition, Stani Chaine, à présenter une rétrospective. C’est un moment qui compte dans la vie d’un artiste, d’autant que l’exposition est accompagnée d’un livre au titre éponyme publié par les Editions La rumeur libre !
Ensuite, en tant qu’enseignant : professeur à l’Ecole Municipale d’Arts Plastiques de Corbas depuis plus de vingt ans, j’ai eu la responsabilité dès le début de l’accompagnement pédagogique des expositions mises en place au Centre Culturel. Durant, ces vingt années, dans le cadre de la préparation des visites avec les classes élémentaires de la commune, je me suis toujours efforcé de rester en contact permanent avec les équipes pédagogiques des écoles de Corbas, d’être à l’écoute de leurs demandes comme de celles de leur hiérarchie, cela dans un climat de confiance mutuelle.
Pour chaque exposition, j’ai toujours animé en amont une visite réservée aux enseignants, en présence de la Conseillère Pédagogique Départementale en arts visuels : mon exposition « Postures & Impostures » du mois de décembre n’a pas fait exception à cette règle.
Au cours de cette rencontre, j’ai moi-même suggéré aux enseignants de circonscrire les déplacements des élèves à certaines salles : proposition faite davantage dans un souci d’efficacité que dans le but de protéger les enfants de je ne sais quelle inconvenance ! Je rappelle par ailleurs que le Polaris est un espace public, regroupant diverses structures (salle de spectacles, médiathèque, écoles de musique, de danse et d’arts plastiques…) dans lequel les usagers – adultes comme enfants – sont libres de circuler.
Suite à nos échanges, dix-huit enseignants se sont donc inscrits pour venir visiter l’exposition avec leurs classes, ceci avec l’accord et le soutien sans réserve de la Conseillère Pédagogique.
Fin du premier acte.
L’objet du désordre
Lors de la mise en place de mon exposition, une mère de famille qui en rameute quelques autres, va se plaindre auprès du personnel du Polaris et auprès des élus. Les explications et les prises de position déterminées et solidaires des uns et des autres semblent désamorcer les récriminations des protestataires, d’ailleurs loin d’être majoritaires.
Puis ces personnes sont relayées par l’Association Familiale Catholique de Vienne et sa région, distraite pour un temps de ses actions répétées contre le « mariage pour tous » : son Président envoie alors une lettre au Maire et aux adjoints à la culture et aux affaires scolaires de Corbas, leur demandant de retirer mes œuvres placées dans le hall :
« Plusieurs familles, écrit ce monsieur,se sont fait l'écho auprès de notre association de leur indignation à la vue de cette exposition. Cette exposition est de nature à choquer les enfants et à les traumatiser, de par la violence des sujets montrés. Est-ce bien sa place dans un lieu de passage obligé entre l'école de musique et la médiathèque, où des centaines d'enfants passent tous les jours ? Il ne s'agit pas de censurer l'expression d'un artiste mais je vous demande d'exercer votre discernement d'adulte responsable et respectueux des enfants pour faire en sorte que cette expression artistique n'agresse pas visuellement les enfants et puisse être réservée à un public averti. »
Décidément les mots « respect » et « responsabilité » n’ont pas le même sens pour tous !
Quel est donc l’objet du scandale ? L’accrochage dans le hall du Centre Culturel de mes « Chanteurs avec vocalises », un ensemble de sept toiles sur mur noir, hautes de 170 cm et larges de 50 cm, représentant quatre femmes et trois hommes raides et nus, bouches ouvertes sur un ultime hurlement.
Je n’ai jamais cherché à donner à ma peinture une dimension décorative, je n’ai jamais prétendu non plus que l’art ne devait pas déranger (je revendique plutôt l’inverse). Dans cette installation coexistent deux tabous : la nudité - ici de l’ordre du dépouillement - et surtout la mort. Faut-il se masquer les yeux et les dissimuler aux enfants ? Ceux-ci nous ont-ils attendus pour s’en faire une idée ? Et quelles idées quand leur source d’information passent aujourd’hui par le net, quand un nombre effarant de jeunes enfants ont déjà visionné seuls un film gore ou pornographique ? La peinture est-elle pernicieuse à ce point ? N’est-elle pas pour eux, bien au contraire, l’occasion d’exprimer leurs angoisses ou leurs inquiétudes, au sein d’un groupe et accompagnés d’adultes ? L’émotion ne nourrit-elle pas la réflexion ? N’est-il pas intéressant que leur vision soit confrontée à celle d’un artiste ? N’est-ce pas justement dans cette relation que se trouve la mission pédagogique ?
Tout le reste n’est qu’hypocrisie …et ce sont toujours les artistes que l’on veut censurer, comme si leur tort était de poser les questions auxquelles on ne souhaite surtout pas répondre.
Quelques jours plus tard, une enseignante (seule volontaire de son groupe scolaire parmi les dix-huit classes inscrites) m’informe par mail de son retrait, jugeant que l’exposition n’est ni adaptée, ni adaptable pour des enfants aussi jeunes. Je n’ai pas à juger de sa décision, pas plus que de ses motivations : chaque professeur est maître de sa classe, il est donc seul compétent pour conduire ses élèves où et comme il le souhaite. Je peux simplement regretter que cette enseignante, ainsi que la directrice de son école, présentes l’une et l’autre lors de la visite, n’aient pas pris à ce moment la parole, privilégiant l’échange verbal entre adultes plutôt que l’envoi de courriels tout azimut !
Mieux, cette école menace par la suite le Polaris de boycotter les spectacles si mon œuvre, toujours la même, présente à l’extérieur, reste visible. A contrecœur – et pour ne pas pénaliser le théâtre - la directrice souhaite que je l’autorise à cacher l’œuvre incriminée derrière un paravent, pour seulement deux dates et quelques heures. Par souci de conciliation, et par amitié, j’ai accepté. Maintenant, je pense qu’il ne fallait pas : parce que c’est céder face à la pression et parce que c’est diablement sinistre une œuvre ainsi voilée !
Mais il reste dix-sept classes pour venir visiter l’exposition…
Donc rideau sur le deuxième acte.
L’intervention de la direction académique
Vient alors ce courrier de l’Inspecteur d’académie adjoint (en accord avec le directeur académique) adressé aux Inspecteurs de circonscriptions afin que ceux-ci transmettent leurs consignes aux directeurs et directrices chargés de les faire appliquer par les professeurs d’école ! Ah, magie des méandres de l’administration et splendeur de cette trajectoire hiérarchique propres à diluer les responsabilités !
Message original
Sujet: expositions arts visuelsDate : Mon, 03 Dec 2012De : IEN ADJOINTPour : IEN CALUIRE -LYON 4ème, IEN SAINT FONS-CORBAS-FEYZIN
Deux expositions, l'une au site confluence(s) de l'IUFM, l'autre au centre Polaris de Corbas, posent questions. En effet, ces deux expositions ont une dimension sexuelle qui pourrait être délicate à appréhender avec des élèves de l'école primaire. Certes, l'éducation à l'image et l'histoire des arts ne peuvent pas occulter les références sexuelles présentes dans de nombreuses œuvres. Cependant, c'est un travail qu'il convient de conduire de manière balisée dans la classe par le choix des supports. La visite d'une expo aux contenus trop explicites risque de heurter les élèves et leurs parents. En conséquence, après avoir sollicité monsieur le directeur académique, il convient, pour les deux expositions citées, de réserver ces visites au cadre familial et de surseoir à celles organisées dans le cadre scolaire.
Jean-Luc Duret
Inspecteur de l’Education Nationale Adjoint
Ainsi donc, revoilà l’entente cordiale. Famille catholique et famille laïque même combat ! Pharisaïsme et frilosité. Les uns s’effrayent de la violence, les autres sont effarouchés par le sexe ! Et ceci sous la même bannière : au nom des enfants.
Sigmund Freud explique que l’on élabore avec les outils dont on dispose et pour Pablo Picasso « un tableau ne vit que par celui qui le regarde ».
Ainsi, dans toute représentation explicite du corps, il y a projection d’adulte, variable selon son histoire, son éducation, sa culture, ses convictions, ses croyances… Face à la même œuvre, l’enfant développe son propre imaginaire, en fonction de ses références et de son vécu : son interprétation ne sera donc pas la même que celle de l’adulte.
Freud écrit encore que « l’éducation doit chercher sa voie entre le Scylla du laissez-faire et le Charybde de l’interdiction » tandis que Georges braque professe que « l’art est fait pour troubler ». Voilà les vrais sujets de réflexion…
Fin de l’acte III, des ambitions pédagogiques et de la tragi-comédie.
La fin d’un monde ?
On nous annonce la fin du monde pour 2012 : soyons sûr que l’an prochain nous serons toujours là ! En revanche, c’est bien la fin d’un monde qu’il nous faut redouter, un monde où l’intelligence gagne sur la bêtise, où l’ouverture d’esprit triomphe du sectarisme. Pour enrayer cette fin, il n’y a qu’un seul moyen : être encore là, ne pas se laisser faire ni laisser faire. Et continuer à œuvrer…
Gérard Mathie,artiste dégénéré
décembre 2012
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