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La Tentation De L’anonymat

Felix Mairot

La Quinzaine Littéraire, 1123, 1er au 15 mars 2015

(extraits)

S’il est vrai que dans cette prose, qualifiée par coquetterie de « tantôt savante et tantôt malhabile », Roussiez semble décliner quelques formes simples, comme la geste, le mémorable, la légende, le mythe, ou le conte, cette parenté avec des genres que leur origine populaire ou leur caractère anecdotique éloignent des formes dites littéraires, selon la distinction opérée par André Jolles (1) dès 1930, n’est qu’un leurre.....

Car l’écriture, procédant par proliférante et luxuriante expansion de fils narratifs et descriptifs entrelacés, propose au lecteur une exploration de mondes en mouvement permanent. .... Comme si l’ornement qui rehausse d’ordinaire la forme architecturale du récit dominait et envahissait la totalité de la structure, rendant secondaires ou indiscernables les grands mouvements présidant à la scansion de l’action....

Il est utile, pour comprendre ce qui obsède Joël Roussiez, de méditer sur ce qu’il écrit, dans l’avant-propos de son Voyage biographique (2), de « l’utilisation d’une certaine écriture afin de prolonger des états, de les intensifier moins pour les clarifier que pour les vivre ». Il ajoute vouloir atteindre ainsi « la justesse – non la vérité – de l’émotion qui accompagne les états décrits ».....

Poétique, cette écriture s’écarte donc de l’épanchement personnel ; le narrateur de ces récits, le plus souvent je ou nous anonyme, y interdit toute identification lyrique au moi de
l’écrivain. Comme si, fasciné par le caractère collectif du discours du mythe ou du conte, Joël Roussiez entendait conférer à ses propres énoncés tendant vers l’anonymat le même pouvoir d’évidence....

Cette écriture hantée par le désir d’effacement de son auteur existe-t-elle indépendamment d’un style qui le trahirait ? Il n’est qu’à lire à la suite ces récits, tout à la fois compliqués et détachés, pour identifier un ton, un humour, un goût des jeux sonores, un phrasé profus, qui, mis ensemble, font entendre une voix reconnaissable, dont la puissance de suggestion est indéniable. Oui, Joël Roussiez, à son corps défendant, a du style, et son lecteur en est à la fois désolé et content pour lui !