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Patrick Laupin : Un cheminement vers la parole

Sylvie Gouttebaron

Carnets de lecture, Bulletin de l'ARALD, 1998

Ce livre est le récit de l’expérience qu’un homme a faite pendant une dizaine d’années, de rendre à d’autres hommes, le courage d’une parole. Et j’emploie ce mot à dessein. Car c’est bien de cela qu’il est question : de l’humain.

« A travers toute parole littéraire ou pas qui depuis la solitude vraie dans l’attente de l’autre s’adresse à l’humanité souveraine, existe une solidarité d’exil qui ne rassure pas, ne console pas, mais permet de se trouver et de se créer, de répondre, de prendre chacun à son tour sa place dans la filiation de l’espèce humaine. »

Cette phrase qui figure dans la toute première partie de cet incroyable livre donne le ton. Patrick Laupin a choisi de parler au lecteur en s’effaçant derrière les seuls mots qui comptent. Cette position , on l’imagine, fut sans doute celle-là même de son expérience, en retrait, à l’écoute, infiniment présent autant que discret, attentif à ne pas briser la profération initiale des jeunes adolescents « vivant une situation d’échec scolaire grave », qu’il a suivis sans relâche.

« Je crois que ce qui est fondamental si on s’engage dans ce travail, c’est d’en avoir la responsabilité jusqu’où on peut la porter, de ne pas déclencher quelque chose comme de l’expression, de l’écriture ou de la poésie qui va nous servir à nous extasier, mais d’être là avec eux quand ça passe ou ça ne passe pas, d’en partager les peines et les joies… »

C’est ce qui paraît le plus purement dans cet ouvrage, la parole de ces adolescents à qui Patrick Laupin donne la place centrale. Ces poèmes, le plus souvent, sont ceux sur lesquels lui aussi s’appuie pour avancer, comprendre, redéfinir, poursuivre. Certes, la violence est là, bien réelle, passée parfois, mais jamais dépassée. L’exprimer, d’où qu’elle vienne, est le fruit de ce long travail.

Mais ce qui domine, dans ce « récit d’une expérience », c’est la modestie de celui qui fait, de celui qui ne cesse de donner, restituant ainsi de la vie égarée. Par l’égarement, sans doute qui s’opère au premier contact avec le texte, lu ou écrit, né de la perte des repères (ou plutôt des protections diverses) placés là par ces adolescents pour échapper au jugement infernal, naît le présent d’une parole. C’est dans la douceur de l’écoute, d’un renoncement obligé, d’une humilité sans faille, qu’il parvient à la fois dans les faits, mais aussi dans son propre texte, à conjurer le sort et faire de cette lecture une véritable expérience du sensible.

Sylvie Gouttebaron