Ce petit mot pour d’abord vous remercier. Vous remercier de vos écritures. C’est par votre voix qu’elles me sont arrivées, une voix d’encre ouverte sur l’énigme, une voix qui plonge soulève aère, retourne la terre corporelle du mutisme, et donne à chacun sa force de recréation.
Avec le concours de Francesca Piolot, vos écritures sont arrivées dans la radio, puis dans un petit baladeur, elles se sont fait entendre sur la route, sous la pluie, devant les arbres, dans le pli des heures et des visages lisses. Cette langue de chair et de sang est venue ouvrir mystérieusement une trouée, laissant entrevoir des chemins ontologiques, calmant la violence des paroles blanches écrasées d’avance dans un monde de mots communicants.
Car non, vraiment non, ce n’est pas si simple. La parole, ce corps turbulent, n’est pas donnée. Oui, le travail terrestre reste à faire chaque fois. Entièrement.
Il y a bien cette paroi du muet qui brûle mots et gestes, qui fait baisser les yeux, ou au mieux, les fait lever au ciel, loin. À d’autres, on s’excuse du peu, exilé dans sa peau, seul dans son corps. Et certains restent là, déambulent dans ce chaos de terre à ciel ouvert, dans cet informe douloureux d’une langue qui ne dit pas, qui ne dit plus, dans ce brasier des chambres et des trottoirs périphériques. Oui, si l’écriture corporelle ne cesse de se dire, elle peut éclater le corps d’effroi dans sa traversée des lettres. Mal arrimée à l’autre déjà partie dans sa chair, la parole décroche facilement du dire, tombe. Oui, les batailles folles sont à mener. Et vos écritures, sonores, matérielles, absentes des discours, courent sur une crête entre abyme et corps fulgurant, retournent la voix, avec une vitesse lumineuse, à un point de solitude habitée, un point de grand calme et de terre. Ces écritures sauvent véritablement parce qu’elles remaillent l’indicible et le corps mobile de la voix singulière. Épaisses comme une forêt, vos écritures sont à écouter, taillis de mots qui mènent au clair, en avance sur celui qui les lis. Ces mots ne parlent pas à, mais parlent dans l’autre, dans le creux de l’énigme. Ils nous accompagnent dans des lieux abandonnés de signification mais noyés d’une ombre douée de signes. Ici, ce qui est dit se donne, y compris à celui qui le dit. Ces mots font de la parole singulière un bien qui circule, éminemment précieux et commun, loin des parades d’auteurs. Merci de ces pays d’encre, lieu véritable de rencontres, de ces silences qui font toucher la terre ferme et reliée, où personne n’est abandonnée. Merci de rendre à la traversée de la langue sa puissance de feu et à la détresse de la parole son humanité parlante.
Vos écritures m’accompagnent. Et j’aimerais, si j’ose, dérouler ce fil touché de la langue qui prend soin du vivant. Croiser, tramer, détramer, porter au vent. ... Dans cet air saturé d’injonctions brillantes, dans une société qui multiplie les modes d’emploi en congédiant les individus, et donc la communauté, j’aimerais vraiment et humblement travailler sur cette fraternité vitale de la parole. Travailler sur cette traversée de la langue sans cesse à refaire, cette violence d’effroi, cette énigme du dire, ce double mouvement d’abandon et de surgissement qui donne corps et visages à une parole qui dissoue les écrans et relie. J’aimerais parler de cette traversée qui est à faire dans et à travers le néant de l’écart, et qui est force de poésie c’est à dire de création du réel.